L'ennuie

Kyle était étalé sur le canapé du salon, les yeux fixa un point imaginaire de son plafond d’un blanc immaculé. Cela faisait bien 20 minutes qu’il n’avait pas bougé. Hormis le léger mouvement de sa cage thoracique, rien ne permettait d’affirmer qu’il était en vie.

La dernière dose de Kandjha qu’il avait absorbé avait été excellente, même si son état ne lui permettait plus de s’en rendre compte. Il avait prit le cachet avec un verre d’eau, et 2 minutes après, il sentait déjà ce qu’il appelait son âme, s’échapper de son corps. Et très vite, elle avait prit le contrôle de sa vision, si bien qu’il la voyait tournoyer dans l’appartement au-dessus de son corps inerte. Et ça lui suffisait. Il fallait attendre que les effets disparaissent, pour que l’âme se rapproche petit à petit du corps, jusqu’à reprendre sa place initiale.

Il était 10h, heure standard. Quand il s’en rendit compte, Kyle jura intérieurement. Il était à nouveau en retard pour son travail. Il prit son blouson, son écharpe, et après avoir contemplé le ciel d’un bleu éclatant, décida d’emporter son parapluie. Il prit le rapport qui lui avait été remit la veille au sortir de son bureau.

Encore un temps pourrit, pensa-t-il alors qu’il parcourait le trottoir au pas de course. Le printemps sur Terre avait pour habitude de rendre la plupart de la population heureuse. Et aujourd’hui, personne n’échappait à la règle. Les quelques gamins qui l’entouraient chantaient quelques paroles innocentes mais blessantes sur l’idiot de leur classe. Les couples, eux, pouvaient enfin s’enlacer sans se retrouver avec 5 à 6 couches de vêtements entre eux. Quelques femmes s’occupaient de leur jardin, arrachant les mauvaises-herbes. Tout semblait aller à merveille.

Pour Kyle aussi, tout aillait bien. Sa journée allait être courte. C’est, par ailleurs, ce qui l’avait autorisé à se droguer ce matin. Il avait à chaque fois mauvaise conscience de son acte. Son travail, que son père lui avait confié, était déshonoré. Il n’arrivait pas à apprécier ce qu’il faisait, ça allait à l’encontre de ses principes. C’est pour le bien de tous, ironisa-t-il tout bas.

Arrivé dans son bureau, Jeff était là, à l’attendre. Ils échangèrent durant un court instant un dialogue sans aucun intérêt, et Jeff laissa la main à Kyle. Celui-ci s’installa devant l’ordinateur, et entra les données présentes sur son rapport, d’une mauvaise volonté flagrante. Puis il attendit. Il fallait qu’il constate lui-même les résultats, ce qui n’était pas difficile, son bureau étant implanté au beau milieu de la zone concernée.

Au bout d’une bonne heure, tout était normal. En sortant, il mit son blouson, son écharpe, et prépara son parapluie. Puis il sortit, dans un ciel de fin du monde, orageux, mais magnifique. Les tons oranges apportés par ces nuages lui plaisaient. C’était comme son corps s’empreignait de cette couleur, chaude et étouffante, en le réchauffant. Certes, le vent était glacial. Mais il était bien couvert pour ça. Son baume au cœur ne resta pas longtemps. Très vite, il songea à tout ça de nouveau. Son mensonge, envers toute la planète. Il était d’une humeur massacrante. Il avait envie de tout raconter à un passant, pour apaiser sa conscience, mais personne ne l’aurait cru, ce qui aurait été une réaction tout à fait normal. Comment peut-on croire que la Terre n’existe plus ? Que les quelques millions de personnes vivants ici étaient 1000 fois plus nombreux il y a de ça une vingtaine d’année ? Que l’homme lui-même avait mit fin à ce rêve, en détruisant la Terre, pour venir s’isoler sur une planète artificielle, où même le temps était contrôlé par l’homme ?